
Hans Dülfer, le mathématicien du rocher
« Autre génie du début du siècle dernier : Hans Dülfer. Celui que Messner qualifiera de « mathématicien du rocher » naît à Barmen en 1892 et grandit à Dortmund, ville qu’il quitte à l’âge adulte pour Munich. Pour exercer le vœu de son père, il s’inscrit en médecine, mais il n’a que deux passions : l’escalade et la musique. C’est un bon pianiste, et sans doute l’un des meilleurs grimpeurs de son époque, comme le sera Comici deux décennies plus tard. Dans les quatre années qui précèdent sa mort en 1915, il réussit pas moins de cinquante premières, surtout dans les Dolomites et le Kaisergebirge, un massif où les faces est de la Fleischbank et ouest du Totenkirchl annoncent le sixième degré.
Élève de Fiechtl qui lui dispensa de précieux conseils sur le maniement des cordes et des pitons, Dülfer profite de ces expériences pour mettre au point une innovation absolue : la traversée à la corde, dite aussi bavaroise. La période est si riche en innovations qu’il est parfois difficile d’en trouver la paternité. À cet égard, Varale considère « qu’il revient à Piaz et Dibona d’avoir créé la technique de l’escalade rocheuse, et à Dülfer de la perfectionner ». On trouve un exemple de cette réciprocité lorsqu’on évoque la technique d’opposition en fissure. Chez nous, comme dans les Dolomites, on gravit une fissure « en Dülfer », alors que dans les milieux germaniques on évoque une « fissure à la Piaz ». Il est aussi l’inventeur du « Dülfersitz », l’ancêtre du rappel moderne. (...) Pour Messner, « il n’avait d’autre ambition que de devenir le maître absolu du calcaire et de la dolomie ».
De la prose de Piaz, on peut tirer plusieurs remarques concernant « l’école de Munich ». Munich est LA capitale alpine, les Monachesi exerçant une hégémonie sans partage sur le reste du monde de l’escalade. C’est là que se trouvent les meilleurs grimpeurs : Dülfer et Preuss, tous deux étudiants, Fiechtl, guide tyrolien, Herzog attaché à son Karwendel, Nieberl, le Pape du Kaiser... Dibona et Piaz sont sujets autrichiens, bien qu’attachés à la nationalité italienne ; Piaz collabore avec les Monachesi sous diverses formes (premières dans le Kaisergebirge, participation à la controverse sur les pitons).
Il tient Preuss et Dülfer comme des professionnels de l’escalade car ils grimpent tout le temps et s’astreignent à un entraînement physique soigné. Lui-même est d’ailleurs un gymnaste accompli. Dülfer fut aussi l’un des premiers, avec un dénommé Karl Plank, à penser à un système de cotation des difficultés, idée reprise par Willo Welzenbach avec le succès que l’on sait.
Pour vérifier l’habileté de Dülfer, on rendra visite au dièdre ouest de la Cima Grande, gravi en août 1913 avec Willy von Bernuth et considéré alors comme l’un des itinéraires les plus difficiles des Dolomites. La cordée Dülfer a employé trois pitons ! C’est ce qu’utilise aujourd’hui une cordée dans chaque longueur, sans parler des coinceurs qu’on peut ajouter à foison. Parmi les prouesses de Dülfer, celle qui a laissé la trace la plus marquante est son dièdre en face sud du Catinaccio d’Antermoia. Nous sommes le 18 juillet 1914. »
À retrouver dans « Dolomites; 150 ans d’escalade » de Bernard Vaucher.
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