
Lynn Hill - It goes boys !
« Mythe vivant, Lynn Hill a réussi à transcender tous les a priori sur l’escalade féminine pour inscrire son nom au plus haut du Panthéon des grimpeurs du xxe siècle. Enfant des années 1960, très tôt sensibilisée à la défense des droits civils et de l’égalité homme-femme, elle profite de l’émergence de toute la vitalité de la côte ouest. Adolescente, elle découvre l’escalade au mitan des années 1970 en Californie. Profitant de son passé de gymnaste et d’une condition physique et athlétique exceptionnelle, elle sait parfaitement en tirer parti pour compenser son « seulement » 1,57 mètre.
Rapidement, on la retrouve au Yosemite où elle se lie à la communauté marginale et libertaire de Camp 4, qu’elle décrit pourtant dans son autobiographie parue en 2002, Climbing Free : My Life in the Vertical World, comme particulièrement macho ! Toute sa vie, elle s’élèvera contre le sexisme et la mauvaise foi des « mâles » concernant les performances en escalade des meilleures grimpeuses, y répondant souvent par des premières « intégrales » et non seulement féminines. À l’orée des années 1980, Lynn est déjà quasiment la meilleure au monde, atteignant le 5.12d dès 1979 (Ophir Broke, Colorado). Avec son compagnon de l’époque, John Long, l’un des fondateurs des Stone Masters, elle écume l’Ouest américain de Joshua Tree à Las Vegas, vivant de petits boulots pour grimper le plus possible. Un long séjour sur la côte est va lui permettre d’encore plus rentrer dans l’élite américaine. De retour aux Shawangunks, New York State, qu’elle fréquenta dès ses jeunes années, elle y réalise en 1984 la première de Vandals (5.13a), sans conteste le premier 7c+ féminin de la planète. Mais pour cette nouvelle étape dans la dificulté, elle a du reconsidérer son éthique traditionnelle et travailler les mouvements comme cela se fait depuis longtemps en Europe.
L’Europe ! Elle lui tend les bras en l’invitant en 1986 à un rassemblement international dans les gorges du Verdon puis aux compétitions italiennes du Rock Master. C’est la découverte à la fois d’une nouvelle culture et du calcaire, un rocher bien adapté à sa morphologie. Si elle doit s’incliner en Italie devant Catherine Destivelle, sa grande rivale d’alors, le métier rentre vite et elle s’impose quelques semaines plus tard dans les Pyrénées, au Grand Prix de Troubat (on parle d’une époque où cela se déroule sur sites naturels). Désormais décidée à vivre totalement grâce à l’escalade, elle va régner durant les six années suivantes sur le circuit compétitif naissant et qui se déplace définitivement sur des structures artificielles : cinq Rock Masters à Arco et de nombreuses victoires en Coupe du monde en jouant la plupart du temps « à l’extérieur » contre les Européennes et notamment les Françaises Destivelle puis Isabelle Patissier.
Entretemps, convaincue que c’est dans l’escalade spor-tive moderne sur spits que son potentiel peut le mieux s’exprimer, elle passe beaucoup de temps sur le Vieux Continent et particulièrement en France, au point de devenir notre voisine dans le Luberon en y achetant une maison. La bonne cuisine et les bons vins hexagonaux y furent aussi pour beaucoup, la côtoyant alors souvent, nous comprîmes qu’en plus d’une athlète exceptionnelle, elle était aussi une épicurienne ! À la suite d’une erreur de débutante (nœud d’encordement mal terminé) elle échappe miraculeusement à la mort en 1989 à Buoux, survivant à 25 mètres de chute libre pour finir dans un arbre salvateur et s’en tirant avec « seulement » un coude en vrac et un pied cassé.
Toujours désireuse de se fixer de nouveaux challenges bigger than life et appréciant de moins en moins le style de vie qu’impose le circuit des compétitions, elle décide, à l’orée des années 1990, de retourner à ses racines : le Yosemite, et plus particulièrement El Capitan où sa voie emblématique, le Nose, attend toujours d’être libérée malgré plusieurs tentatives. Il s’agit là d’un challenge non pas féminin mais universel, ce qui ne manque pas de motiver encore plus Lynn ! Après une première tentative avortée, 1993 marque sa première grande réussite : en quatre jours, elle réussit à en enchaîner les trente-quatre longueurs, résolvant enfin les problèmes de la fine fissure du Grant Toit et des mouvements de contorsion de Changing Corners pour une cotation maximale dans cette dernière qui se stabilisera à 5.14a/b (8b/c). Quelques mauvaises langues argueront que sa petite taille et ses doigts très fins sont des avantages décisifs. Mais comme Lynn leur répondra : « L’essence de l’escalade, c’est d’adapter ses capacités au rocher et non le contraire. » Au-delà des chiffres, c’est son célèbre « It goes boys! » qui remettra en perspective l’ampleur de cet accomplissement.
Profitant de sa connaissance des mouvements, de la stratégie à adopter et surtout de la meilleure forme de sa vie (en à-vue, elle atteint le 8a et réussit ainsi les douze longueurs de Mingus, 7c+, au Verdon), elle enfonce le clou l’année suivante en regrimpant la voie en libre en moins de vingt-quatre heures. Plus de dix ans passeront avant qu’un homme soit capable d’égaler ces performances !
Autres premières féminines symboliques en 1998 avec ces deux légendes de l’identité américaine : Midnight Lightning, « LE » bloc du Yosemite et To Bolt or not to be (Smith Rocks), le premier 5.14 américain. Lynn est sûrement la personne qui aura fait le plus pour contribuer au développement et populariser l’escalade, jouant outre-Atlantique le rôle de Patrick Edlinger auprès des médias et de l’imaginaire du grand public. À partir de 1995, après l’apogée du Nose, elle entre dans une période de partage de sa notoriété et de son expérience, participant à de nombreux voyages et expéditions aux quatre coins de la planète. Elle organise aussi des stages « aventure » escalade où elle prodigue ses conseils. Enfin, à 42 ans, elle donne naissance à un fils, concrétisant un de ses vœux les plus chers, longtemps brimé par son intense activité sportive. Tout en continuant de grimper, elle s’y consacre désormais, voyant là l’opportunité de nouvelles aventures et expériences. »
Retrouvez tous les grimpeurs qui ont marqué l’histoire de l’escalade dans Le 9e degré,150 ans d’escalade libre de David Chambre.
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