
Lépiney, l’as de l'espadrille
Dans un article de l'annuaire du Club Alpin de 1902, Maurice Bourgogne invita ses collègues au festin des candelles de calcaire. Il leur signala également qu'ils feraient mieux de changer de chaussures et d'utiliser une paire d'espadrilles.
« La semelle de corde affermit singulièrement le pied aux mauvais pas, surtout dans nos massifs calcaires où la roche, loin d'avoir la rugosité compacte du granit, est souvent glissante et traîtresse aux clous.» La roche de Bleau n'était pas moins traître et glissante sous le fer des souliers que les calcaires de Provence et des Dolomites où l'on grimpait également en espadrilles à semelles de corde (avec des renforts sur le devant et sur le côté). Mais Fontainebleau devant les préparer à de plus grandes aventures dans les mêmes souliers, le clan des Rochassiers garda ses souliers à clous jusqu'en 1913, jusqu’à l'entrée en scène des deux frères, Jacques et Tom de Lépiney, en espadrilles à semelle de corde.
La chaussure, peu importe la hauteur des rochers, aide ou pénalise le grimpeur. Il est probable que, de rage ou de curiosité, certains rochassiers aient tenté de varapper pieds nus, comme ça se faisait ici ou là dans les grandes ou les petites occasions, des Pyrénées aux Dolomites. Le niveau de l'escalade à Fontainebleau bondit de presque deux degrés (du III au IV sup) dès qu'un Rochassier eut l'idée de chausser des espadrilles de bazar, de simples espadrilles à tige montante, mais à semelle de corde, comme les espadrilles que chaussaient les grimpeurs des Dolomites ou des Calanques. Ce Rochassier, c'était Jacques de Lépiney, la sauterelle du Bas-Cuvier. Lépiney y sautait d'un bloc à un autre. Des sauts spectaculaires, fantastiques, écrit Maurice Damesne, des sauts plus légers, plus sûrs depuis qu'il sautait en espadrilles.
Jacques de Lépiney créa une mode, fit école. Les Rochassiers sautent derrière Jacques de Lépiney qui s'impose comme un as du rocher et, humainement, comme un chef de file. Claude Deck, dans un article de La Montagne et Alpinisme (École de blocs, école de Bleau, 1988), cite l'un des sauts les plus faramineux de Lépiney. Au Bas-Cuvier (Cuvier-Châtillon) Jacques de Lépiney sautait du sommet de la Brioche (16 noir Trivellini) sur le sommet de la Vipère (15 noir).
En 1913, chaussé d'espadrilles à semelle de corde, Jacques de Lépiney escalade l'arête de Larchant (III) Ã la Dame Jouanne, sans demander qu'on l'assure à la corde. Cette grimpade en solitaire marque tous les Rochassiers de Paris. La Dame Jouanne c'est le plus haut rocher de la forêt, un bon troisième étage dans un immeuble Haussmann.
Maurice Damesne : « Jacques de Lépiney nous étonnait par son audace et sa sûreté. » Deux qualités cardinales pour un virtuose du rocher. L'audace sans sûreté, c'est, dans un délai plus ou moins long, le lit d'hôpital, ou la morgue.
Vous voulez en savoir davantage, lisez : Fontainebleau, un siècle d’escalade.
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